Le slovène

Diverses circonstances m’ont conduit à apprendre le slovaque, le russe et le polonais. J’ai commencé à m’intéresser à une autre langue slave assez peu connue : le slovène. Voyons ce que cette langue a d’unique.

Si j’ai choisi le slovène, c’est un peu par hasard. Je regardais les cours proposés par une école de langues et j’ai vu le slovène à un horaire qui allait bien, alors je me suis dit, pourquoi pas ? Je n’ai encore jamais appris de langue slave du sud (comme je le disais dans un précédent article), j’habite pas loin de la Slovénie et c’est un pays que je découvrirais bien.

Le slovène parmi les langues slaves

Le slovène est donc une langue slave du sud, proche du croate mais pas assez pour que les deux soient vraiment mutuellement intelligibles (même si les Slovènes comprennent apparemment souvent le croate, surtout ceux qui ont connu la Yougoslavie). Pour quelqu’un qui parle une langue slave de l’ouest ou de l’est, le slovène est, me semble-t-il, assez difficile à comprendre, notamment parce que beaucoup de mots ont un sens différent ou ne sont tout simplement pas reconnaissables.

Une difficulté pour les étrangers qui veulent apprendre le slovène, c’est que personne ne parle vraiment slovène. Le slovène standard, celui utilisé dans l’éducation et les médias, n’est apparemment parlé au quotidien par personne, et les gens parlent dans leur vie de tous les jours des dialectes locaux.

Bien qu’il soit parlé par seulement deux millions de personnes dans un petit pays, le slovène a une diversité de dialectes impressionnante. Selon les manières de compter, on recense jusqu’à une cinquantaine de dialectes répartis en sept groupes. Les dialectes les plus divergents sont le résian, parlé en Italie, et qui a sa propre norme littéraire, et le prekmure, parlé près de la frontière hongroise. Mis à part ces deux cas, les Slovènes semblent pouvoir se comprendre sans trop de problème.

Je connais assez mal la situation des dialectes, je ne sais pas s’ils sont en régression comme quasiment partout en Europe. Il semble qu’il y ait aussi une sorte de slovène familier standard parlé à Ljubljana. Les dialectes ont des différences dans le vocabulaire, la grammaire, et la prononciation, et apparemment à Ljubljana il y a beaucoup de réductions de voyelles.

Prononciation

Une chanson en slovène

La prononciation et l’orthographe du slovène posent quelques difficultés parce que l’accentuation et certaines distinctions de voyelles ne sont pas écrites. Le slovène a, en gros, huit voyelles (ou 6 courtes et 7 longues), et seulement 5 lettres pour les représenter. Pour ceux qui connaissent l’alphabet phonétique international, les voyelles sont donc : [a ɛ ə i ɔ u aː ɛː eː iː ɔː oː uː].

  • La lettre e peut représenter un schwa (une voyelle neutre proche du e muet français), comme dans le mot pes (chien).
  • N’importe quelle syllabe d’un mot peut être accentuée, il faut savoir laquelle et en plus, l’accent peut se déplacer quand on conjugue ou décline (même si ça a l’air bien moins complexe qu’en russe).
  • Une voyelle accentuée peut être longue ou courte (les voyelles non accentuées sont toujours courtes). Si c’est un schwa, il est obligatoirement court. À part ça, les voyelles ne peuvent être courtes que dans la dernière syllabe des mots (à quelques rares exceptions près), donc la distinction de longueur est importante seulement dans la dernière syllabe – en théorie, parce que je n’ai pas trouvé de paires de mots distingués uniquement par la longueur d’une voyelle. La longueur des voyelles n’a pas l’air si importante, mais il faut faire beaucoup plus attention à la distinction suivante.
  • Quand ils sont longs, e et o ont deux prononciations : ouverte et fermée. (On a des sons équivalents en français, « é » et « è », « paume » et « pomme » sauf si vous êtes du Sud de la France.) Là encore, ce n’est pas écrit, mais la différence est plus importante : péti (chanter), pêti (cinquième), otròk (enfant), otrók (des enfants).

L’accent grave sert à marquer une voyelle accentuée courte, l’accent aigu une voyelle longue avec une prononciation fermée (dans le cas de e et o) et l’accent circonflexe un e ou o long et ouvert. Évidemment, aucun de ces accents n’est utilisé dans des textes normaux, on ne les trouve que dans les dictionnaires et les livres de grammaire. Et, bizarrement, ils ne sont pas utilisés non plus dans les manuels d’apprentissage pour étranger, alors que ce serait quand même pratique.

Ce n’est pas tout : le slovène peut aussi avoir des tons. Les voyelles accentuées peuvent avoir un ton montant ou descendant… mais pas obligatoirement. En fait, seule une partie des dialectes slovènes a des tons, et les deux prononciations, tonale et non tonale, sont acceptées en slovène standard. Vous pouvez totalement ignorer les tons de votre apprentissage et ce que vous prononcerez sera quand même considéré comme du slovène correct (une bonne partie des Slovènes n’entend même pas la différence).

Les consonnes posent moins de problèmes. Le slovène utilise les lettres č, š, ž, (prononcées comme ch, tch, j en français), mais pas ć (c’est du croate). Les consonnes sont assourdies en fin de mot, comme dans dež (pluie), prononcé approximativement « dech ». Il y a, en gros, quatre bizarreries orthographiques.

  • En fin de syllabe, l peut être prononcé soit [l], soit [w], et ce n’est pas vraiment prévisible : [w] a l’air plus courant, comme dans bel (blanc) ou dolg (long), mais cette lettre se prononce [l] dans stolp (tour) ou pol (pôle).
  • En fin de mot ou avant une consonne, v est toujours prononcé [w], comme avto (voiture) qui se prononce auto. La préposition v (dans) se prononce [u].
  • La lettre j est muette quand elle est précédée par l ou n et n’est pas suivie par une voyelle. Kranj, la troisième plus grande ville de Slovénie, se prononce « Kran », mais le j est prononcé quand on ajoute une terminaison : v Kranju (à Kranj).
  • Certains mots ont l’air difficiles à prononcer à cause d’un r sans voyelle autour : rdeč (rouge), vrt (jardin). Ce n’est pas une consonne syllabique comme en tchèque ou en slovaque : dans ces cas, le r est simplement précédé d’un schwa qui n’est pas écrit.

Grammaire

La grammaire du slovène est typique des langues slaves : une morphologie assez complexe, trois genres (avec, dans une certaine mesure, distinction entre masculin animé et inanimé pour les noms masculins), des déclinaisons avec six cas (le slovène a perdu le vocatif, comme la moitié des langues slaves), des verbes perfectifs et imperfectifs et des conjugaisons, même si le slovène a perdu pas mal de temps comparé aux autres langues slaves du sud.

Mais le slovène a une particularité : c’est l’une des rares langues slaves, et même l’une des rares langues indo-européennes, à avoir conservé le duel (les deux autres langues dans ce cas étant le haut sorabe et le bas sorabe, des langues slaves minoritaires parlées en Allemagne).

Le singulier, c’est pour un objet, le pluriel, pour plusieurs, et le duel, pour deux. En slovène, tout ce qui peut avoir un pluriel a aussi un duel : noms, adjectifs, pronoms, verbes. Tout ce qu’on a l’habitude de présenter sous forme de tableau à deux colonnes (conjugaisons, déclinaisons) a trois colonnes en slovène.

Voilà un exemple:

  • Okno je odprto. La fenêtre est ouverte.
  • Okni sta odprti. Les deux fenêtres sont ouvertes.
  • Okna so odprta. Les fenêtres (trois ou plus) sont ouvertes.

Bizarrement, il y a un cas où le duel semblerait tout indiqué mais n’est normalement pas utilisé : les choses qui vont naturellement par deux. Des mots comme oči (œil), roke (mains), čevlji (chaussures), dvojčki (jumeaux) sont au pluriel et pas au duel. Pour ces mots, on utilise le duel, généralement accompagné de dva (deux) ou oba (tous les deux), seulement pour insister sur le nombre :

  • Bolijo me noge. J’ai mal aux jambes.
  • Bolita me obe nogi. J’ai mal aux deux jambes (duel).

Voilà un exemple de déclinaison : miza (table, un nom féminin régulier).

CasSingulierDuelPluriel
Nominatifmizamizimize
Génitifmizemizmiz
Datifmizimizamamizam
Accusatifmizomizimize
Locatifmizimizahmizah
Instrumentalmizomizamamizami

Je trouve les détails des déclinaisons suivants intéressants (même si ça ne vous dira sans doute pas grand-chose si vous ne connaissez pas de langue slave) :

  • L’accusatif féminin singulier en -o alors que -u m’aurait moins étonné (mais le slovène a l’air d’avoir assez souvent un o là où il y avait une ancienne voyelle nasale).
  • Le slovène distingue davantage les genres au pluriel que d’autres langues (par exemple, le locatif est -ih pour les noms masculins et neutres, mais -ah pour les féminins).
  • L’instrumental pluriel des noms masculins est -i (un peu comme en tchèque avec -y).
  • Le slovène distingue les noms masculins animés et inanimés au singulier seulement. Mais au pluriel, l’accusatif est distinct à la fois du nominatif et du génitif (nominatif -i, génitif -ov, accusatif -e).
  • On trouve pas mal de noms masculins empruntés terminés par une voyelle accentuée, comme metro. On les décline en insérant un -j- avant la terminaison (génitif metroja).
  • D’autres noms (surtout masculins) ont un radical qui est allongé quand on décline : oče (père) devient očeta au génitif.

Les adjectifs se déclinent aussi, bien sûr, je vous épargne le tableau, il y a juste un fait intéressant que je voudrais mentionner. Comme la plupart des autres langues slaves, le slovène n’a pas d’article, ni défini, ni indéfini, mais il existe une manière d’indiquer qu’un nom est défini, si celui-ci est accompagné d’un adjectif :

  • nov projekt : un nouveau projet,
  • novi projekt : le nouveau projet.

Mais cette distinction n’existe que pour le nominatif (et accusatif inanimé) masculin singulier. Sauf pour quelques adjectifs, qui ont deux formes : pour « petit », on a majhen (indéfini) et mali (défini).

Les pronoms personnels existent bien sûr aussi au duel. Midva (nous deux) est évidemment la fusion de mi (nous) et dva (deux), mais les autres cas ont des formes particulières (naju à l’accusatif, par exemple, alors que l’accusatif de mi est nas). Le slovène est, à ma connaissance, la seule langue slave qui distingue le genre à la première et deuxième personne du pluriel (et du duel) : mi est masculin, le féminin est me. « Vous » se dit vi (et vidva) au masculin, ve (et vedve) au féminin. Par contre, lorsqu’on vouvoie (ce qui fonctionne globalement comme en français), on dit vi indépendamment du genre et du nombre.

Voilà la conjugaison au présent d’un verbe tout à fait régulier : delati (faire ou travailler).

PersonneSingulierDuelPluriel
1redelamdelavadelamo
2edelašdelatadelate
3edeladelatadelajo

Au duel, la deuxième et la troisième personne sont toujours identiques.

Au passé, on utilise une forme en -l qui dépend du genre et du nombre, mais pas de la personne :

GenreSingulierDuelPluriel
Masculindelaldelaladelali
Féminindelaladelalidelale
Neutredelalodelalidelala

Ici, le slovène fait une plus grande différence entre les genres au pluriel que certaines autres langues (russe ou slovaque par exemple). On ne peut pas utiliser cette forme seule : il est obligatoire d’utiliser le verbe « être » comme auxiliaire pour indiquer la personne. Delal sem (j’ai fait), delali sva (nous (deux, féminin) avons fait), delali so (ils ont fait).

On utilise la même forme pour former le conditionnel : il suffit de remplacer la forme du verbe « être » par bi. C’est à ma connaissance le seul cas en slovène où un verbe n’indique clairement pas la personne : bi šel peut vouloir dire « j’irais », « tu irais » ou « il irait ». Si le contexte ne la rend pas claire, on peut utiliser un pronom personnel sujet.

La même forme en -l est utilisée pour former le futur, mais elle doit alors être accompagnée du verbe « être » au futur (qui est le seul verbe avec son propre futur) : bom delal (je ferai).

Comme les autres langues slaves, le slovène a des verbes perfectifs et imperfectifs – pour une paire de verbes français, il faut apprendre une paire de verbes slovènes. Le perfectif indique une action terminée, l’imperfectif une action inachevée. Contrairement à ce qui se passe dans les langues slaves occidentales et orientales, en slovène, les deux aspects sont compatibles avec le présent et le futur. Mais c’est un sujet que je ne maîtrise pas.

Vocabulaire

Sans surprise, le slovène a un vocabulaire principalement d’origine slave. Il semble avoir plus de mots d’origine italienne ou romane que d’autres langues slaves, ce qui est peu surprenant. « Heure » se dit ainsi ura. On trouve aussi pas mal de mots empruntés à l’allemand, comme krompir (pomme de terre, Grundbirne « poire de terre » dans certains dialectes autrichiens). J’imagine que les dialectes parlés plus près de l’Autriche ou de l’Italie ont davantage de mots venus de ces pays.

Il y a beaucoup de faux-amis entre les langues slaves, et le slovène ne fait pas exception. Voilà quelques exemples que j’ai relevés :

  • otrok (enfant) / tchèque et slovaque otrok (esclave) ;
  • lepši (plus beau) / tchèque et slovaque lepší (meilleur) ;
  • hrib (colline) / slovaque hríb (champignon) ;
  • kruh (pain) / tchèque et slovaque kruh (cercle) ;
  • nogavica (chaussette) / slovaque nohavice (pantalon) ;
  • stanovati (habiter) / slovaque stanovať (camper) ;
  • stol (chaise) / slovaque stôl, polonais stół, russe стол (table) – les langues slaves ont toutes des mots qui se ressemblent pour les tables et les chaises ;
  • ponos (fierté) / russe понос (diarrhée).

La Slovénie, c’est super

J’ai visité la Slovénie en mai, c’est un pays magnifique. J’ai visité seulement quelques-uns des endroits les plus touristiques (Ljubljana, Piran et Bled), mais ça vaut le coup.

J’ai réussi à commander des bureks en slovène et à déchiffrer pas mal de choses, mais j’ai quand même dû pas mal utiliser l’anglais, malheureusement.

Bref, je recommande de visiter la Slovénie et d’apprendre sa langue. Ce n’est pas la plus facile des langues slaves, mais elle est jolie et très intéressante.

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