Le hongrois

Depuis que je suis allé en Hongrie la première fois, je suis intéressé par la langue hongroise. Le hongrois, étant une langue finno-ougrienne, est un lointain cousin du finnois et de l’estonien, et les langues les plus proches du hongrois sont le khanty et le mansi, deux langues minoritaires parlées en Russie. Bref, quelle que soit votre langue maternelle, le hongrois ne ressemble à rien de connu. C’est pour cette raison que je trouve cette langue intéressante.

Lors de la rencontre polyglotte de Berlin, en mai dernier, l’un des sponsors a décidé d’offrir à chaque participant un manuel de langue de la série Teach Yourself de leur choix. J’ai donc décidé de commander un cours de hongrois pour m’y mettre enfin sérieusement.

Comme j’ai fini la dernière leçon la semaine dernière et que je viens de passer le week-end en Hongrie, je me suis dit que c’était le bon moment pour présenter cette langue.

La grammaire hongroise

La grammaire hongroise, à bien des égards, est très différente de celle du français. L’ordre des mots est souvent inversé : la date d’aujourd’hui est 2016. április 5. et le hongrois n’a pas de prépositions, mais des postpositions, qui se mettent après le mot concerné.

Le hongrois est une langue agglutinante, c’est-à-dire qu’il utilise beaucoup de suffixes là où on utiliserait des mots séparés en français. Par exemple, « dans ma ville » se dit a városomban : a est l’article défini, város veut dire ville, -om indique la possession de la première personne du singulier et -ban veut dire « dans ». Il existe de très nombreux suffixes qui peuvent se combiner, pour cette raison le hongrois est souvent présenté comme une langue logique – mais maintenant que j’y pense, beaucoup de langues sont présentées comme « logiques ».

Un trait intéressant du hongrois est l’harmonie vocalique : la plupart des suffixes ont deux ou trois formes qui dépendent des voyelles contenues dans le mot. Ainsi, város contient des voyelles dites sombres, et les suffixes qui suivent doivent avoir des voyelles sombres. Élet (« vie ») contient des voyelles claires, et « dans ma vie » se dit alors az életemben. Ce phénomène peut donner lieu à des mots avec beaucoup de e ou de a : halhatatlan (« immortel ») et felejthetetlen (« inoubliable ») comportent deux versions différentes des mêmes suffixes. E est particulièrement fréquent et on peut même écrire des phrases entières sans utiliser une autre voyelle.

La possession est un domaine où le hongrois diffère radicalement du français. Elle ne s’exprime pas avec des pronoms (« mon », « ton », « son », etc.), mais avec des suffixes, comme on l’a vu plus haut. Le hongrois n’a pas de génitif, mais c’est l’objet qui est marqué : « le jardin de la maison » se dit a ház kertje, littéralement « la maison son jardin ». Le hongrois n’a pas de verbe « avoir » : pour dire « j’ai un chat », on dit « il y a mon chat » (van macskám).

En ce qui concerne les verbes, je ne mentionnerai que l’aspect le plus déroutant des verbes hongrois : l’existence de deux conjugaisons dites objective et subjective (ou définie et indéfinie), qui dépendent de l’objet :

  • Nézek egy filmet. (« Je regarde un film » – objet indéfini).
  • Nézem a filmet. (« Je regarde le film » – objet défini).

Il existe même un suffixe qui veut dire « je te » : nézlek, « je te regarde ».

Bien sûr, ce n’est qu’un petit aperçu des différences entre le français et le hongrois. Si vous voulez en savoir plus, Wikipédia a des articles incroyablement détaillés sur la grammaire hongroise.

Le vocabulaire hongrois

Comme le hongrois appartient à une famille différente de ses voisins, très peu de mots sont reconnaissables. Même les mots d’origine finno-ougrienne ont été rendus différents de leurs cousins finnois par des millénaires d’évolution :  (« trois »), à première vue, ne ressemble pas particulièrement au finnois kolme. De nombreux mots hongrois ont été empruntés aux langues slaves, germaniques et turques, et si j’en crois Wikipédia, 30 % du vocabulaire hongrois serait d’origine inconnue. Résultat : j’ai l’impression que la plupart des mots hongrois ont été générés aléatoirement.

Il est cependant amusant de reconnaître des mots slaves en hongrois, qui sont souvent un peu déformés. Voici quelques mots hongrois avec leur équivalent slovaque (les mots d’origine slave ont probablement été empruntés à un ancêtre du slovaque ou du slovène) :

  • asztal – stôl – table,
  • málna – malina – framboise,
  • ebéd – obed – déjeuner,
  • vacsora – večera – dîner,
  • csütörtök – štvrtok – jeudi,
  • péntek – piatok – vendredi,
  • pohár – pohár – verre (dans ce cas c’est le slovaque qui a emprunté au hongrois).

Un avantage du hongrois, c’est qu’il utilise beaucoup de mots composés, ce qui permet de reconnaître de nouveaux mots : par exemple, en réfléchissant un peu la première fois que j’ai rencontré fényképezőgép, j’ai compris que ça voulait dire « appareil photo ». Ce mot apparemment compliqué se décompose ainsi :

  • fénykép : photo (lui-même composé de fény « lumière » et kép « image »),
  • fényképez : photographier,
  • fényképező : photographiant,
  • fényképezőgép : machine photographiante.

Voici quelques autres exemples de mots composés :

  • cukorbetegség : diabète (« maladie du sucre »),
  • útlevél : passeport (« lettre de voyage »),
  • mozgólépcső : escalator (« escalier mouvant »),
  • repülőgép : avion (« machine volante »).

Bien sûr, tout n’est pas parfaitement logique : nővér, composé de « femme » et « sang », veut dire « grande sœur ». Le hongrois a d’ailleurs des mots distincts pour « grande sœur » et « petite sœur », « grand frère » et « petit frère ». Et je trouve amusant que le mot pour « expliquer » soit magyaráz – littéralement « hongroiser ».

Le hongrois, une langue difficile ?

Le hongrois fait partie des nombreuses langues qui sont régulièrement qualifiées de « plus difficiles à apprendre », les principaux arguments étant son nombre excessif de cas (le nombre le plus souvent cité étant 18), son caractère agglutinant et le fait qu’il ne ressemble pas beaucoup à d’autres langues.

Les cas du hongrois ne sont pas particulièrement difficiles : ce sont toujours les mêmes suffixes. Les 6 cas du russe sont plus difficile à apprendre que les 15 ou 18 cas du hongrois (les linguistes ne sont pas d’accord sur le nombre exact parce que ça dépend de la définition de « cas »). Après m’être familiarisé avec l’essentiel de la grammaire, je ne pense pas que le hongrois soit intrinsèquement plus difficile que les autres langues. Sur certains points, il est même plus facile que la plupart des langues d’Europe : par exemple, il n’a pas de genre. Il n’y a même pas de distinction entre « il » et « elle ». Les conjugaisons et les déclinaisons sont globalement assez régulières, malgré quelques imprévisibilités. Cela dit, le hongrois a des aspects que je trouve difficiles, même si je suis sûr qu’on peut s’y habituer avec de la pratique :

  • La grande majorité des mots ne ressemblent à rien de connu, et j’ai souvent l’impression que les terminaisons se ressemblent les unes aux autres.
  • L’ordre des mots est plus libre qu’en français, mais obéit à certaines règles qui semblent dépendre de ce qu’on veut mettre en valeur dans la phrase.
  • Les verbes peuvent être modifiés par des préverbes qui en changent le sens. Par exemple, à partir de beszél (« parler »), on peut former rábeszél (« persuader »), lebeszél (« dissuader »), megbeszél (« discuter »), etc. Le problème, c’est que les préverbes peuvent se détacher du verbe et se balader dans la phrase, un peu comme en allemand mais selon des règles encore plus obscures.
  • Le caractère agglutinant peut donner lieu à des mots assez longs et difficiles à décomposer quand on ne les a pas déjà rencontrés.

J’ai quand même pu trouver quelques ressemblances avec des langues que je connais : le hongrois a deux petits mots très courant, már et még, qui correspondent souvent à « déjà » et « encore », que je comprends mieux grâce leurs équivalents slovaques et ešte. Et l’impératif, qui existe à toutes les personnes et sert aussi de subjonctif, a un usage étonnamment proche de son équivalent en espéranto.

Conclusions

J’ai pu essayer mes connaissances de hongrois lors d’un court séjour en Hongrie. J’ai pu comprendre pas mal de panneaux et d’enseignes, ce qui est toujours appréciable quand on se trouve dans un pays étranger, et j’ai pu commander à manger en hongrois. Par contre, en écoutant les gens parler, je ne comprenais rien sauf quelques mots isolés. J’ai pu à peu près comprendre les gens qui faisaient l’effort de me parler lentement et clairement, mais je ne pense pas que mon niveau soit suffisant pour avoir une conversation qui ne soit pas très basique. Mais en Hongrie, comme dans beaucoup de pays, il suffit de savoir dire quelques mots de la langue locale pour que les gens soient admiratifs (même si on fait plein de fautes).

Cela dit, j’hésite un peu à continuer : sans but précis, il est difficile d’avoir beaucoup de motivation. Le hongrois est une langue que je trouve très intéressante, mais j’ai peur qu’il s’ajoute à la liste déjà trop longue des langues que j’ai étudiées sans jamais atteindre un niveau vraiment utilisable. Pour l’instant je pense que je vais continuer doucement, je connais quelques Hongrois avec qui je peux pratiquer. Le hongrois n’est d’ailleurs pas parlé seulement en Hongrie, mais aussi dans la plupart des régions frontalières, notamment en Transylvanie et dans le sud de la Slovaquie (mais pas dans la région où j’habite, malheureusement).

Quoi qu’il en soit, je ne regrette pas d’avoir appris un peu de cette langue fascinante et intrigante, et je la recommande à tous ceux qui veulent voir comment peut fonctionner une langue très différente de la nôtre.

6 commentaires

  1. Félicitations pour tout ton travail avec le hongrois et merci pour tout ces détails. La grammaire du hongrois me parait beaucoup plus claire maintenant.

    Tu dis que pendant ton séjour en Hongrie tu as eu un peu de mal pour t’exprimer. Cela fait combien de temps que tu t’es mis à l’apprentissage du hongrois et as-tu utilisé des partenaires linguistiques pour faire des conversations ou juste une méthode écrite ?

    C’est peut-être une langue ou la prononciation est particulièrement difficile pour les francophones, non ?

  2. Félicitations pour l’effort et merci pour l’article!

    Une petite correction: « testvér » est un terme inclusif pour toutes sortes de freres et de soeurs. La soeur ainée s’appelle « nővér ». 🙂

    Pour la prononciation (Johanna), mon amie anglaise arrivait tres bien a lire en hongrois (qu’elle ne parlait pas) en se basant sur le francais et en mémorisant quelques exceptions!

  3. La grammaire ressemble vraiment beaucoup au turc à part la notion de préverbe.

  4. Bonjour,

    Merci pour cet article très bien pensé, ça donne une idée un peu plus précise du hongrois, qui finalement ne me semble pas insurmontable.

    J’aime découvrir de nouvelles langues, qui sortent un peu des sentiers battus. Pas pour les pratiquer, mais pour avoir un aperçu de la grammaire et du vocabulaire, comparer avec d’autres langues.

    Après l’anglais et l’espagnol à l’école, je me suis attaché au japonais, langue, vous vous en doutez très différente du français, mais pas si difficile que ça (si on excepte les degrés de langages, où les tournures et parfois les verbes sont complètement si on s’adresse à un supérieur, inférieur ou égal à soi), c’est également une langue agglutinante (par exemple le verbe « suru » – faire devient « shinakereba narimasen » – devoir faire (littéralement si on ne fait pas, ça ne sera/deviendra pas).

    J’ai essayé aussi le chinois mandarin, qui en dehors des tons et des milliers de caractères à apprendre est plutôt facile, pas de genre, pas de nombre, pas d’accord, pas de conjugaison, tous les mots sont invariables).

    J’ai abordé également le hindi, ne serait-ce que pour sa très belle écriture.

    Puis au tour du russe, langue pas vraiment difficile mais très complexe avec ses déclinaisons, et un système verbal assez perturbant, avec des verbes préfixés, multidirectionnels ou unidirectionnels, et perfectifs ou imperfectifs, sans parler de la prononciation avec des voyelles qui change en fonction qu’elles sont accentuées ou non, sans parler de l’accent tonique qui peut changer de place, et qui ne se gêne pas pour le faire d’ailleurs…

    Actuellement, je découvre le polonais et je pense aller vers le hongrois, pourquoi pas, ça me fera découvrir autre chose !

    Finalement, quand on apprend une nouvelle langue, on trouve toujours des points communs avec celles qu’on a déjà étudiées.

    Juste un exemple avec le stylo (ou l’instrument assimilé en fonction de l’époque) :
    latin : calamus
    français : calame (le roseau qui servait à écrire sur les papyrus)
    arabe : qalam
    hindi/népali : kalam

    Alors bon courage à toutes et à tous pour l’apprentissage du hongrois !

  5. Très intéressant. Je suis aussi un amateur de langues. (Qui souffre depuis dix ans sur lem andarin, mais là je m’y suis pris trop tard ! Les petites cellules grises…).
    Pour le hongrois, j’ai eu la chance de travailler quatre ans à Budapest et de m’offrir un cours articulier hebdomadaire. LA chose qui m’a alors toujours posé problème est l’ordre des mots (plus que l’accent tonique toujours initial) : alors qu’en français on peut faire traîner l’introduction de son propos pour le lâcher au final (et donc hésiter, chercher des lits) en hongrois la phrase commence par ça. Faut vraiment avoir les idées claires. Mais j’aime beaucoup ça . à tête reposée.
    Beaucoup plus simple et sans surprise (sauf culturelle, bien sûr) est le persan, qui le tient compagnie aussi depuis quelques années. Curiosité : la même personne a signé les Assimilé des trois grandes langues du proche-Orient : arabe, turc et persan. Trois familles de langues. Chapeau !

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