Je suis récemment retombé sur un article de linguistique assez insolite intitulé How to “fake” a language (Comment « falsifier » une langue), écrit par Lyle Campbell, un linguiste américain spécialisé dans les langues amérindiennes. En tant que linguiste de terrain, son travail consiste en partie à aller interroger des personnes vivant dans des coins reculés afin de documenter leurs langues.
Mais s’il s’agit d’une langue exotique et peu documentée, comment s’assurer que l’informateur n’invente pas n’importe quoi ? Assez facilement, en fait.
En plusieurs années de travail en Amérique centrale, il est tombé sur six cas de faussaires. Il y a essentiellement deux à quatre raisons qui peuvent pousser quelqu’un à inventer une langue pour tromper un linguiste :
- Pour l’argent : dans les pays pauvres, les personnes travaillant avec un linguiste sont souvent payées au-dessus des salaires locaux, sinon peu de gens seraient prêts à passer beaucoup de temps à discuter avec un étranger.
- Si une personne est très respectée dans sa communauté parce qu’elle détient les savoirs traditionnels, mais qu’en réalité elle ne connaît que trois mots dans la langue de ses ancêtres, elle peut inventer des réponses pour garder la face.
- Pour se marrer (même si Campbell n’a pas rencontré ce cas de figure).
- Enfin, dans certaines régions du monde, une raison qui pourrait n’être qu’une rumeur : pour induire le linguiste en erreur et garder la langue cachée des étrangers.
Reconnaître un informateur qui invente ses réponses est facile – en fait, c’est presque décevant, parce que c’est à peu près ce à quoi je m’attendais.
Un vrai informateur peut avoir du mal à se souvenir de la langue, s’il s’en sert rarement, mais à mesure que l’entretien avance, il peut se souvenir de mieux en mieux et proposer lui-même des formes ou des phrases (du type « ce mot-là me fait penser à un autre mot »). Un faussaire n’hésitera pas au début, mais aura de plus en plus de mal à inventer des réponses et ne proposera jamais spontanément un mot.
Un faussaire est peu susceptible de dire des mots comportant des sons qui n’existent pas en espagnol (puisqu’en l’occurrence les cas rapportés viennent d’Amérique centrale). Les langues indigènes d’Amérique centrale sont très variées et ont beaucoup de sons inconnus en espagnol (notamment des consonnes éjectives dans les langues mayas).
Les mots que donnent les faussaires sont pour la plupart des mots espagnols tordus ou avec un sens différent – ou, parfois, des mots d’autres langues indigènes qu’ils connaissent un peu. Ils perdent rapidement l’inspiration et, si on leur redemande un mot, il y a peu de chance qu’ils redisent la même chose.
Tout le monde est capable d’inventer des mots, moins de la grammaire. Les faussaires ne donnent pas de réponses cohérentes quand on leur pose des questions visant à découvrir des détails de la grammaire (par exemple si on leur demande des mots au pluriel) et sont incapables de donner des phrases complètes.
En cherchant des informations sur les canulars linguistiques, je suis tombé sur le cas intéressant de George Psalmanazar, un Français qui prétendait, au XVIIIe siècle, être le premier Formosan à visiter l’Europe. En plus de coutumes imaginaires, il a décrit dans un livre une « langue formosane » de son invention, avec sa grammaire et son alphabet, qui a apparemment leurré les grammairiens de l’époque.
Finalement, les canulars linguistiques semblent être assez rares. Tout ce que j’ai pu trouver sur Wikipédia, c’est une langue (ou plutôt une liste de mots) inventée par un interprète au Brésil en 1901. Et, bien sûr, le fameux manuscrit de Voynich, qui reste une énigme et qui pourrait être un canular.