Comme vous le savez si vous avez ne serait-ce que survolé la page d’accueil de ce blog, je participe régulièrement à des rencontres d’espéranto. Mais je n’avais jamais participé à la plus importante : le congrès mondial d’espéranto, dont la centième édition s’est tenue à Lille, à la fin du mois de juillet.
Parfois, il me semble que le monde de l’espéranto est trop petit : je revois assez souvent les mêmes personnes. Au dernier festival du nouvel an, où la première soirée comprend traditionnellement des jeux pour faire connaissance avec les autres participants, je me suis dit « Mais j’en connais déjà au moins la moitié ! » Je me suis dit, cependant, que j’ai habituellement affaire à seulement une petite partie du monde de l’espéranto : les gens qui ont le temps, les moyens et l’envie d’aller à des festivals de jeunes en Europe centrale. Il y aurait sûrement beaucoup de nouvelles personnes au congrès mondial.
Et ça a été le cas. Certes, j’ai vu beaucoup de gens que je connaissais déjà, dont des personnes que je n’avais pas vues depuis des années et d’autres dont j’avais oublié le nom, mais la grande majorité des participants m’était inconnue. J’ai pu parler avec des gens venus de pays tels que le Népal, la République dominicaine, l’Indonésie ou le Pakistan. Il y avait aussi un grand nombre d’Asiatiques — Japonais, Coréens, Vietnamiens. Au total, il y avait 2695 participants de 82 pays.
L’ambiance était très différente de celle des rencontres auxquelles je vais habituellement. Déjà, la moyenne d’âge était bien plus élevée (le congrès mondial a souvent la réputation d’être « le congrès des vieux »), même s’il y avait beaucoup de jeunes. Le programme et les participants était plus sérieux : il y avait de nombreuses réunions d’associations et des conférences sur des sujets variés. J’ai par exemple assisté à une conférence très intéressante sur Einstein et ce qu’il a apporté à la science (et à la fin un Brésilien a demandé s’il y avait de la gravité sur la Lune…), et une autre sur la traduction dans l’Union européenne. Enfin, ce congrès était beaucoup plus « pour l’espéranto » que « par l’espéranto », ce qui n’a rien de surprenant, étant donné qu’il s’agit du congrès officiel de l’association mondiale d’espéranto et pas d’une semaine pour faire la fête.
J’ai l’impression que certains espérantistes — en tout cas ceux du congrès mondial — aiment les longs discours. La cérémonie d’ouverture a duré pas moins de deux heures, dont une demi-heure de monologue de Mark Fettes, président de l’association mondiale d’espéranto (à qui j’avais serré la main la veille sans savoir qui il était). La partie la plus intéressante, pour moi, a été la fin, où des participants de chaque pays sont venus saluer les congressistes. J’ai apprécié que la Luxembourgeoise se soit contentée de dire « Salut ! » dans sa langue, et tout le monde s’est senti un peu gêné quand l’Américaine a commencé à délirer et à parler de Bush et de Clinton.
J’ai eu l’occasion de participer gratuitement à une excursion dans une brasserie. C’est un peu ironique, parce que je n’aime pas la bière (mais j’ai pu bien me gaver de frites), mais j’y suis allé en tant qu’interprète. Le brasseur a fait une visite guidée de ses installations en expliquant la fabrication de la bière, et j’ai fait la traduction pour les participants. C’était une expérience très intéressante et ça m’a beaucoup plu de faire ça, plusieurs personnes m’ont ensuite félicité.
Si ce congrès a eu lieu à Lille, ce n’est pas un hasard. En effet, le premier congrès mondial d’espéranto a eu lieu à Boulogne-sur-Mer en 1905. Il était donc logique que le centième congrès soit organisé dans la même région. (C’est seulement le centième congrès parce qu’il n’y a pas eu de congrès pendant les guerres mondiales.) Il y a donc eu une excursion à Boulogne-sur-Mer, au cours de laquelle nous avons assisté à une cérémonie dans le théâtre où a eu lieu le premier discours de Zamenhof, puis nous avons défilé à travers la ville pour assister à l’inauguration d’une statue dédiée au même Zamenhof, en présence du maire de la ville et d’autres officiels. À vrai dire, j’ai trouvé ça un peu gênant parce que, à ma connaissance, Zamenhof n’a jamais voulu être idolâtré et que tous ces drapeaux et hymnes sont probablement assez bizarres pour les spectateurs. Je crois que c’est un peu une question de génération : d’après mon expérience, les jeunes sont beaucoup moins portés sur les étalages excessifs de drapeaux et d’autres symboles, que certains de mes amis qualifient de « pornographie verte ».
Après ça, il y a eu une réception à la mairie et le maire nous a fait un long discours que les gens écoutaient à moitié dans lequel il a fait part de son intention d’ouvrir un centre culturel de l’espéranto à Boulogne-sur-Mer. Puis nous avons enfin visité la ville. Je n’avais jamais visité le Nord de la France avant et je dois dire que j’ai été agréablement surpris par Boulogne et par Lille.
Le programme culturel du congrès était extrêmement riche. J’ai assisté à un concert de musique classique au piano et à une pièce de théâtre, et j’ai pu entendre des chansons en français, en espéranto (dont des traduites du français) et même en occitan, et le dernier soir (la « soirée internationale ») j’ai pu entendre des chansons hongroises et admirer une danse vénézuélienne, entre autres choses. Certains des concerts étaient publics et avaient lieux à divers endroits de la ville pour faire découvrir l’espéranto aux Lillois.
L’une des raisons pour lesquelles je suis venu à ce congrès, c’est parce que je fais partie de l’équipe de l’organisation du congrès de l’année prochaine, qui aura lieu à Nitra, en Slovaquie. Il fallait donc que je voie comment ça se passe, pour avoir une meilleure idée de ce qui nous attend. J’ai aussi aidé à faire la publicité de ce congrès, et j’ai passé pas mal de temps derrière le stand à distribuer des brochures touristiques (que l’agence touristique slovaque a accepté de publier en espéranto) et à parler de Nitra et de la Slovaquie à des gens qui me prenaient pour un Slovaque.
Un événement apparemment intéressant mais auquel je n’ai pas assisté, c’était le match de football entre une équipe d’espérantistes et l’équipe du Sahara occidental. Il a été interrompu à la mi-temps quand on s’est aperçu que quelqu’un avait dévalisé les vestiaires…
Enfin, au bout d’une semaine, le congrès a pris fin. La cérémonie de fermeture a, elle aussi, bien duré deux heures. Il y a eu de nombreux remerciements à toutes les personnes qui ont aidé à organiser le congrès. Puis, à la fin, les participants ont été invités au congrès de l’année prochaine. Le maire de Nitra, qui avait fait le déplacement, a lu un discours traduit en espéranto. Puis c’était au tour de l’organisateur principal du cent-unième congrès (celui pour qui je travaille et grâce à qui j’habite en Slovaquie) de prendre la parole. Après des banalités à propos de ce congrès, il est sorti du sujet avec un discours émouvant : il a fait venir sa copine sur scène et il l’a demandée en mariage devant 2000 personnes.
Parmi les objections que j’ai entendues contre l’espéranto, l’une des plus absurdes est « On ne peut pas exprimer de sentiments dans une langue artificielle. » Certains s’en fichent et se demandent en mariage en espéranto — même si, connaissant la fiancée, elle est moyennement ravie que ça ait été aussi public (je ne mettrai pas de lien vers la vidéo, sinon elle va m’en vouloir).
Bref, ce fut une semaine très intéressante. J’ai rencontré de nouvelles personnes, j’ai découvert des aspects du monde de l’espéranto que je connaissais pas, et j’ai pu voir que ce monde ne se limite pas à l’Europe centrale et orientale (la grande majorité de mes amis espérantistes viennent de ces pays-là). J’ai aussi une meilleure idée du travail qui nous attend pour l’année prochaine. Il a déjà commencé il y a plus d’un an, mais il reste énormément à faire et je sens que je vais être bien occupé cette année.